Lauréate de masterChef
Anne Alassane
L’émotion après le drame
Sa vie avait les accents d’un conte de fées. Anne Alassane, épouse et mère de famille comblée, avait réalisé ses rêves en remportant la première édition de masterChef en 2010, puis en recevant la médaille du Mérite agricole. Début janvier 2012, elle est frappée par un terrible drame: deux de ses six enfants, Rose et Louise, respectivement âgées de 2 et 4 ans, périssent dans l’incendie qui frappe la partie habitation de l’auberge où vit toute la famille. C’est avec beaucoup d’émotion que Cuiz’in a interviewé maman courage, Anne.
Ce fut un reportage émouvant passé dans Sept à huit, sur TF1, en ce février 2012. Anne Alassane rompt enfin le silence après les larmes, un mois seulement après la perte de ses deux filles de 4 et 2 ans, mortes asphyxiées. La caméra montre la chambre où les deux fillettes ont mis le feu accidentellement, en jouant sous le lit avec un briquet. Les fleurs continuaient d’arriver. Un volumineux courrier aussi ‒ 5 000 messages en un mois ‒… Malgré l’horreur de la tragédie, la jeune mère rouvre son auberge, se bat pour continuer à vivre. C’est probablement pour cette raison même qu’elle a décidé de tirer profit de sa médiatisation afin de faire de la prévention dans les écoles contre les accidents domestiques. Et de confier:«J’ai un projet d’association qui devrait rapidement voir le jour. Peut-être vais-je lui donner le nom de mes filles disparues…» Bravo.
Retour en arrière, à Alassane l’aventurière, à une enfance passée en Centrafrique et au Burkina Faso. A 19 ans, Anne ouvre, en marge d’un complexe touristique en pleine brousse, un centre équestre au Burkina Faso. Elle en montera un autre à Natitingou, au Bénin, quelques années plus tard, ainsi qu’un bar-restaurant qu’elle gèrera avec son mari Issouf. Entre-temps, elle acquiert son diplôme de guide de tourisme équestre. Rentrée en France avec 3 enfants en 2002, elle achète avec son mari la ferme délabrée de ses propres grands-parents en 2005. Et c’est parti pour 5 ans de travaux, durant lesquels elle tombe successivement enceinte, suit une formation agricole de 2 ans, avant de démarrer l’exploitation de la ferme (élevage et culture, ne vous en déplaise!). Lauréate du concours masterChef, la jeune femme est ainsi révélée au grand public en 2010. Grâce à sa notoriété et ses gains, elle ouvre sa ferme-auberge, qu’elle baptise La Pays’Anne, parce qu’elle est fière de ses racines. Celles d’une terrienne qui observait, petite, sa grand-mère cuisiner et aimer le terroir de Montauban. C’est là qu’elle a jeté l’ancre. La jeune agricultrice restauratrice publie son premier livre, Les meilleures recettes d’Anne, et dévoile au fil des pages les secrets de ses 54 recettes. Emouvante interview.
Comment tout a commencé pour Anne Alassane l’agricultrice qui, au départ, a suivi une formation dans le domaine du tourisme équestre? Qu’est-ce qui l’a propulsée sur la scène culinaire et forgé son appétit de cuisinière?
Enfant, j’étais passionnée de cuisine et d’animaux. A l’adolescence, j’ai décidé de commencer des études équestres, ce qui m’a amené à faire la cuisine lors de randonnées à cheval… Ayant hérité d’une ferme familiale en 2004, j’ai décidé d’ouvrir une ferme auberge afin de concilier mes deux passions.
MasterChef, l’émission qui a révélé vos talents, vous a maintenu 3 mois hors de la maison en 2010. Racontez-nous comment et pourquoi vous avez décidé de participer au tournage, et vos impressions lorsque vous vous êtes adjugé la victoire de la saison et avez reçu la médaille du Mérite agricole?
Au début de l’année 2010, je me suis retrouvée bloquée dans la construction de mon entreprise d’un point de vue financier, avec un grand manque de confiance en moi. J’étais donc décidée à m’inscrire à l’émission pour apprendre des chefs et me prouver que j’étais capable de mener à bien pareille entreprise.
Après avoir rénové la ferme de vos grands-parents, mère de famille, vous ouvrez une auberge sous le label “Bienvenue à la ferme”. Que de chemin parcouru! Votre credo…?
La cuisine est un métier passionnant, mais très prenant. Je pense qu’il est préférable de mettre en avant les produits locaux et de saison. Malheureusement, beaucoup de chefs se sont éloignés de cette philosophie et c’est dommage.
Dans votre premier livre de recettes de cuisine, comment sont construits les repas?
Toute ma cuisine est conçue autour des produits de la ferme et, donc, de saison. De la même façon, j’ai construit mon livre de recettes.
‘‘Anne Alassane, chef cuisinier de la ferme auberge La Pays’Anne’’: le jour de l’inauguration de votre ‘‘arche de Noé’’, les journalistes ont parlé d’une femme déterminée, recherchant sans cesse la qualité, dirigeant ses équipes et sûre d’elle… Parlez-nous un peu plus de ce moment.
L’ouverture de mon restaurant a été une période très intense. Il a fallu que j’apprenne à construire et gérer une équipe, le relationnel et, enfin, le métier de chef d’entreprise. C’était un vrai challenge, que je suis fière d’avoir relevé.
Comme votre enfance passée ailleurs, est-ce que votre cuisine est métissée, personnelle? Et peut-on dire que vos recettes voyagent en proposant des menus fusion qui mélangent ingrédients et influences?
Oui, tout à fait. Ma cuisine n’est que le reflet de moi-même.
Quelles différences vous ont marqué entre la Centrafrique, le Burkina Faso et la France en termes de restauration?
Comme dit le proverbe: en France, on vit pour manger et en Afrique, on mange pour vivre.
Quelle est votre conception de la cuisine? Est-ce avant tout le plaisir d’accueillir, le plaisir de cuisiner et partager ou le plaisir de déguster?
Le tout à la fois!
Quelle est votre recette star?
Deux: le veau coco cannelle et les ravioles au chèvre.
Les principaux défis de votre métier?
C’est un métier passionnant, mais dur de par le stress, les horaires, le manque de temps pour la famille… D’autant plus que j’accumule deux métiers. Mais quand on est passionné, on peut tout faire.
Que pensez-vous de la modernisation de la cuisine et des designers culinaires qui offrent des plats séduisants, qui chatouillent les papilles et les sens?
La tradition a du bon: il faut savoir vivre avec son temps. C’est ce que je m’applique à faire tous les jours.
Quel est votre coup de cœur? Et à quoi rêvez-vous?
Je rêve que mon entreprise continue sur sa lancée et que, peut-être, un jour, l’un de mes enfants me succèdera…
Pensez-vous prendre un break ou bien impossible: tout repose sur vos épaules, malgré l’aide efficace de votre équipe?
J’espère que mon entreprise sera autonome et que je pourrais me consacrer un peu plus à ma famille et à moi-même…
(Après les larmes de la tragédie, Anne Alassane, maman courage, nous admirons votre force de caractère, votre courage et la dignité qui vous caractérisent.)