Vocation viticole insoupçonnée de Bhamdoun
Visite du ChĂąteau Belle-Vue
Câest Ă seulement quelques kilomĂštres de Beyrouth que lâon retrouve le village de Bhamdoun, perchĂ© sur sa colline, dâoĂč il domine mer et vallĂ©e. A 1 200 m dâaltitude, le soleil y est toujours bienveillant et les vents propices caressent ses raisins. Avec fiertĂ©, on raconte que le gĂ©nĂ©ral de Gaulle y dormit quatre nuits, Ă lâhĂŽtel. On raconte aussi quâil y dĂ©gusta le vin local et sâĂ©merveilla du terroir de Bhamdoun. Sur les hauteurs du village se dressait alors lâhĂŽtel Belle-Vue. Le propriĂ©taire, grand-pĂšre de notre hĂŽte, Naji Boutros, tirait dĂ©jĂ un vin de qualitĂ© des vignes qui bordaient son Ă©tablissement. Aujourdâhui, son petit-fils, brillant banquier qui fit la route des finances de New York Ă Londres, renoue avec la terre, Ă©tend ses vignobles sur 24 hectares et produit des bouteilles de grande qualitĂ© vendues Ă des happy few. InĂ©dit.
Retour vers le passĂ©, dans ce beau village riche en oliviers et vouĂ© traditionnellement Ă lâagriculture. Bhamdoun, cĂ©lĂšbre pour ses raisins, considĂ©rĂ©s Ă lâĂ©poque comme les meilleurs du Liban.Rien dâĂ©tonnent alors quâil fut Ă ses heures de gloire un lieu de villĂ©giature plĂ©biscitĂ© par les Beyrouthins.Sous le mandat français, lâambassadeur de France y avait ses quartiers dâĂ©tĂ©. Ici, les acteurs de la vie politique aimaient se retrouver. Si les pierres pouvaient parler, elles nous raconteraient certainement comment des dĂ©cisions importantes y furent prises pour lâHistoire de la rĂ©gion⊠A lâhĂŽtel Belle-Vue, chez son grand-pĂšre, Naji Boutros passait lui aussi ses Ă©tĂ©s. «Chacune des chambres avait alors une vue imprenable sur Sannine et la mer», se rappelle-t-il. HĂ©las, la guerre frappa et lâĂ©difice fut dĂ©truit en 1983, ainsi quâune bonne partie du village.
Retour Ă la terre
Naji a quittĂ© le Liban Ă lâĂąge de 17 ans. Il a suivi des Ă©tudes de gĂ©nie Ă©lectrique Ă l’UniversitĂ© de Notre-Dame et obtenu une maĂźtrise en sciences de gestion et en gĂ©nie de l’UniversitĂ© Stanford.
Brillant banquier dâinvestissement pour Merrill Lynch Ă New York, il dirige ensuite le nouveau bureau de son employeur Ă Londres pendant 10 ans. MalgrĂ© tout, il confie Ă Cuizâin quâil manquait quelque chose Ă sa vie: «MĂȘme si je nâavais pas lâintention de retourner, dit-il, quand jâĂ©tais loin, je sentais que ma vie Ă©tait vide.» Avec son Ă©pouse Jill, originaire du Minnesota, il prend lâultime dĂ©cision de rentrer au bercail: «Je suis revenu sans avoir lâintention de replanter autant de vignes, juste le vignoble de mon grand-pĂšre», prĂ©cise-t-il. Mais le destin en a voulu autrement: «Un cousin mâa dâabord demandĂ© de replanter chez lui, puis un autre.» Alors, tout sâest enchaĂźnĂ©. «Nous nous sommes Ă©tendus. Jâai rachetĂ© petit Ă petit des terres, jusquâĂ possĂ©der 24 hectares aujourdâhui.» Ce qui pouvait ĂȘtre un simple retour est devenu une grande et belle aventure. Avec le soutien de Jill (responsable marketing du domaine), sa partenaire dans la vie comme dans ce projet, la passion du vin et la renaissance du vignoble de Bhamdoun deviennent lâheureux prĂ©texte dâune ambition encore plus noble: relancer une communautĂ© locale essoufflĂ©e, redonner vie au village et impliquer ses habitants. «Je veux que les Libanais de lâĂ©tranger retrouvent Ă Bhamdoun le village de leurs ancĂȘtres», confie notre interlocuteur. Lâhomme met son expĂ©rience de banquier d’investissement au service de ce terroir exceptionnel et, au printemps 2000, les premiers cĂ©pages sont plantĂ©s. Ils vont sâĂ©panouir sur les vignobles en terrasses et dans le village: Syrah, Merlot, Cabernet-sauvignon et Cabernet Franc pour le rouge, Sauvignon blanc et Viognier pour le blanc sâĂ©tendent du sud-ouest au nord-est.
Ainsi est nĂ© ChĂąteau Belle-Vue, prĂ©cisĂ©ment le millĂ©sime 2003. «La Renaissance» qui vient rĂ©compenser les efforts du couple Boutros. Les premiĂšres bouteilles de ce trĂšs bon vin rouge sont vendues en 2007. Sur lâĂ©tiquette, une image de lâhĂŽtel Belle-Vue, qui a donnĂ© son nom au domaine, mais aussi un lĂ©zard, clin dâĆil Ă cette petite bĂȘte qui nâa jamais quittĂ© le village, mĂȘme aux moments les plus sombres… Notre hĂŽte raconte en avoir souvent croisĂ© en route vers les vignes. Dâailleurs, il y voit un signe dâencouragement et choisit de lui rendre hommage! Autant de dĂ©tails qui nous rappellent que câest avec simplicitĂ© et passion que la vigne est cultivĂ©e par ici. Le jeune propriĂ©taire du domaine partage aujourdâhui son temps entre ses responsabilitĂ©s au sein de la boĂźte Edge Capital, quâil a fondĂ©e en 2009, et sa passion pour la vigne.
Le vin de Bhamdoun
ChĂąteau Belle-Vue est lâun des rares vins produits en dehors de la vallĂ©e de la Bekaa. Son raisin, aux qualitĂ©s exceptionnelles, est cultivĂ© sans engrais ni herbicides chimiques. Seules les mĂ©thodes ancestrales et naturelles sont tolĂ©rĂ©es. MĂȘme lâeau dâirrigation des vignes provient de tunnels creusĂ©s par les ancĂȘtres, affirme Naji: «Lâimportant, câest de faire de bons raisins.» Dâailleurs, il met un point dâhonneur Ă ce que la vinification respecte le rythme naturel du vin. Aucune levure nâest ajoutĂ©e pour accĂ©lĂ©rer le processus. Ce sont les bactĂ©ries naturelles produites lors des phases de fermentation qui permettent la transformation en rouge et blanc: «Nous abordons chaque phase dans le respect de la vigne et du vin, mĂȘme si cela prend plus de temps», nous explique notre hĂŽte qui, en plus, a fait le choix de ne pas filtrer son vin. Ce qui lui donne un veloutĂ© et un arĂŽme trĂšs particuliers: «Les vins filtrĂ©s sont beaucoup plus courants, mais câest un choix dĂ©libĂ©rĂ© que nous avons fait.» Si ChĂąteau Belle-Vue est considĂ©rĂ© comme un petit domaine, avec une production de 20 000 bouteilles seulement, sa rĂ©putation, elle, est grande. Il a remportĂ© de nombreux prix prestigieux, ainsi que la reconnaissance de la critique bien au-delĂ de nos frontiĂšres. Surtout, les considĂ©rations commerciales sont relĂ©guĂ©es au second plan, au profit dâun vin authentique et de qualitĂ© que lâon peut dĂ©guster dans des restaurants courus de la Capitale, comme La Posta ou lâIndigo.
Joseph, LâĂąme des vignes
Câest au milieu des vignes, Ă lâombre dâun arbre, que lâon rencontre Joseph Khairallah. Il est lâenfant du pays, lâĂąme et le cĆur du Domaine. Câest lui qui supervise toutes les opĂ©rations vinicoles, notamment la plantation, lâĂ©lagage, lâarrosage et le labour. Câest lui aussi qui transmet aux jeunes son amour des ceps et le savoir-faire ancestral quâil tient de son grand-pĂšre. Comme autant dâenfants, il soigne les pieds de vigne avec le plus grand soin: «Jâai la sensation quâelle me connaĂźt, quâelle me parle», confie-t-il Ă Cuizâin. Sur les terrasses rocailleuses de Bhamdoun, la vigne cĂŽtoie figuiers et oliviers en parfaite harmonie, sous lâĆil bienveillant de Joseph, qui leur donne parfois des noms, ceux des membres de sa famille. «Nâimporte qui peut faire du vin, concĂšde-t-il, mais faire du bon vin demande beaucoup dâamour.» Comme par mimĂ©tisme, ses mains burinĂ©es, qui travaillent inlassablement la terre, rappellent les ceps. Elles sâagitent avec grĂące et dextĂ©ritĂ© au service dâun art minutieux. Le regard ombrĂ© par la visiĂšre de sa casquette, il raconte avec passion son village et sa terre, quâil a dĂ» quitter pour lâAfrique dans sa jeunesse, afin de travailler dans les forĂȘts du Cameroun. LĂ -bas, aujourdâhui encore, des parcelles de forĂȘts portent les noms ââbhamdouniââ donnĂ©s par Joseph. «Je ne descends jamais Ă Beyrouth, conclut-il. Jâaime mon village, mon travail.»
Une entreprise solidaire
Le Wine Club de ChĂąteau Belle-Vue est ouvert aux apprĂ©ciateurs amateurs au vrai sens du mot. CrĂ©Ă© Ă lâorigine pour les amis proches, il est nĂ© dâun besoin de partage et de transmission du patrimoine ; il accueille les aficionados de Bhamdoun, du Liban, mais aussi dâAngleterre, des Etats-Unis et mĂȘme dâAustralie. Chaque membre est un amoureux du vin et de la terre de Bhamdoun. La pĂ©riode des vendanges, entre septembre et octobre, reste lâĂ©vĂšnement le plus chaleureux de lâannĂ©e oĂč petits et grands, villageois, membres du Club et amis se retrouvent: «Câest si convivial quâon ne sent mĂȘme pas la fatigue», raconte Esperanza Geara, jeune et compĂ©tente Ćnologue espagnole dâorigine libanaise, qui participe avec passion Ă lâĂ©laboration des crus du Domaine. Sous lâimpulsion de Jill, lâĂ©pouse de Naji, le Club est aussi Ă lâorigine de nombreuses initiatives citoyennes. Il a permis notamment de financer des bourses dâĂ©tudes pour des enfants du village et de fonder une bibliothĂšque communautaire, qui dispose de plus de 6 000 volumes. En choisissant dâemployer des artisans locaux, le Domaine est ce quâon peut appeler une entreprise solidaire. «A travers Belle-Vue, câest le village libanais que je dĂ©fends avant mĂȘme mon vin, dans lâamour de son Histoire. Le vin est immortel et intimement liĂ© Ă son terroir», affirme Naji. PrĂ©server la population locale, les habitants du village sur des gĂ©nĂ©rations: tel est le but que je souhaite atteindre.»
Nouveaux projets
Infatigable, le jeune producteur de vin a de nouveaux projets pour son village. Un restaurant, Le TĂ©lĂ©graphe (du nom de lâancienne rĂ©sidence de lâambassadeur de France Ă Bhamdoun), qui proposera, dans une ambiance chaleureuse, cuisine du terroir et dĂ©gustation des crus ChĂąteau Belle-Vue. De grandes tables taillĂ©es dans un bois rustique autour de lâimposante cheminĂ©e qui recevra les grillades. Un large bar est prĂ©vu pour la dĂ©gustation. Un potager bio est mĂȘme en cours dâĂ©laboration, afin de proposer des lĂ©gumes frais et de qualitĂ©. «Le restaurant est en fait situĂ© dans lâancienne villa dâun colonel français restĂ© au Liban aprĂšs lâachĂšvement de sa mission, et qui jouxte Le TĂ©lĂ©graphe.» Il est fort Ă parier que cette nouvelle destination culinaire saura sâimposer avec charme dans le paysage libanais. La rĂ©sidence de lâambassadeur, quant Ă elle, accueillera un Bed & Breakfast, la bibliothĂšque communautaire et un centre Ćuvrant pour la consolidation de la paix, avec une salle de confĂ©rence. Un lieu dĂ©diĂ© Ă lâentente et la paix entre les communautĂ©s, trĂšs cher au maĂźtre du Domaine.
A ne pas en douter, ChĂąteau Belle-Vue est une pierre remarquable ajoutĂ©e Ă lâĂ©difice du riche terroir libanais, mais aussi un des plus beaux exemples de solidaritĂ© et de prĂ©servation de notre fragile patrimoine. Au dĂ©tour dâun chemin, Naji Boutros nous confie, presque rĂȘveur: «Si vous savez partager le fruit de votre travail, la terre vous le rendra toujoursâŠÂ»
Photos © Cuizâin.