Chronique des rencontres
Andoni Luis Aduriz
La nouvelle cuisine parle espagnol
VantĂ©e par les critiques les plus prestigieux et demandĂ©e par des millions de consommateurs dans le monde entier, la cuisine espagnole a connu une vĂ©ritable rĂ©volution qui, en l’espace de quelques annĂ©es, lâa placĂ©e dans le peloton de tĂȘte de la gastronomie internationale. Son caractĂšre traditionnel a servi de fondement Ă l’Ă©laboration d’une cuisine actuelle. Parfait porte-parole: le Chef Andoni Luis Aduriz, passeur dâĂ©motions, 3e Chef mondial avec son Mugaritz. ÂTellement douĂ© et innovateur que dans la profession on voit en lui lâhĂ©ritier de Ferran AdriĂ et son El Bulli.
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Il avoue ne pas vouloir alimenter des estomacs, mais simplement nourrir des esprits, et parvient Ă retranscrire les paysages de son Pays basque, cette si belle rĂ©gion dâEurope, en autant de crĂ©ations culinaires sensuelles. Parfums, textures et saveurs Ă peine suggĂ©rĂ©s ouvrent un champ dâinterprĂ©tations des plus larges. Chef imaginatif Ă la maniĂšre dâun grand crĂ©ateur de mode de la table gastronomique Mugaritz (le ChĂȘne de la frontiĂšre, en basque), Le resto 2 Ă©toiles Michelin que tout le monde rĂȘve de visiter, Andoni fait partie de ces professionnels qui enrichissent leur rĂ©flexion de maniĂšre transversale. A quelques kilomĂštres de San Sebastian, loin du tumulte citadin et dans les cuisines de son enseigne, il intĂšgre dans la vision de son mĂ©tier la botanique (eh oui, il est rĂ©putĂ© pour son travail sur les herbes!), la science, l’histoire, la littĂ©rature, la musique et mĂȘme la sociologie⊠Une sacrĂ©e toque, qui Ă©volue dans le monde dâaujourd’hui tout en respectant profondĂ©ment ses racines culturelles et territoriales. «Je dĂ©fends ce qui est local, j’en suis imprĂ©gnĂ©, mais je ne suis pas non plus un Taliban: je vis dans le âglobalâ, car la diversitĂ© est une chose merveilleuse. J’aime la diffĂ©rence et le fait d’Ă©changer ensemble. Câest le meilleur moyen de sauvegarder la richesse des cultures anciennes, contemporaines, biologiques, culinaires, urbainesâŠÂ» En scĂ©nographe accompli, Andoni maĂźtrise lâart de faire dialoguer ses recettes avec dâautres champs de la culture. Parfait exemple: sa collaboration avec la compagnie thĂ©Ăątrale La Fura dels Baus pour le dĂźner donnĂ© dans la piĂšce DĂ©gustation de Titus Andronicus ou encore son travail avec le philosophe Daniel Innerarity⊠Rien ne lâarrĂȘte. Ni mĂȘme lâidĂ©e de conjuguer la cuisine au mode cosmĂ©tique. RĂ©sultat: un plat Ă base de lait dâavoine et de riz, prĂ©sentĂ© comme un savon, bulles (qui nâĂ©clatent pas immĂ©diatement) Ă lâappui, un an de recherches (avec un ingĂ©nieur) plus tard⊠Qui lâaime le suive. Une rencontre en 7 temps.Â
Quâest-ce qui vous a motivĂ© dans votre parcours? Et y a-t-il un ouvrage qui vous a inspirĂ© ou aidĂ© dans la pratique de votre mĂ©tier?
Jâai Ă©tudiĂ© la cuisine presque par hasard. Ma nourrice a eu Ă©normĂ©ment faim durant la Guerre civile, et je crois avoir pensĂ© quâen devenant cuisinier, au moins j’aurais de quoi me nourrir. Jâai lu beaucoup de livres de littĂ©rature culinaire ou de botanique. Jâai appris que les valeurs sont toujours plus importantes que lâargent. Jâai Ă©tĂ© aussi influencĂ© par Les Carnets de cuisine de Michel Bras et La Riviera dâAlain Ducasse.
A 26 ans, vous avez ouvert votre propre restaurant, baptisé Mugaritz. Quelle est sa devise et quel est votre plat favori sur le menu?
Des plats doivent rester exceptionnels par rapport Ă des moments exceptionnels, sinon, tout s’Ă©puise. Les 16 plats composant le menu Mugaritz forment un ensemble et se succĂšdent en cadence dans un lavage de papilles. Difficile dâarrĂȘter son choix sur un seulâŠ
Qui est votre client idéal?
Le client sensible à toute curiosité, qui cherche à déguster et savourer un bon plat aussi bien des yeux que des papilles.
Parlez-nous du documentaire Mugaritz BSO (Bande son originale), qui a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© au Festival de San Sebastian 2011, dans la section CinĂ©ma et gastronomieâŠ
Mugaritz BSO est une idĂ©e savoureuse. Il sâagissait de mettre en musique douze plats emblĂ©matiques du Mugaritz Ă partir des ingrĂ©dients, des saveurs, des textures, des processus dâĂ©laboration et de la philosophie de la caserĂo (ferme basque traditionnelle)⊠Le spectateur a Ă©tĂ© plongĂ© dans une expĂ©rience multisensorielle traduisant la gastronomie en lecture musicale, avec le musicien Felipe Ugarte, cĂ©lĂšbre joueur de txalaparta (instrument Ă percussion basque), instigateur du projet. Au final, un opĂ©ra en douze actes jouĂ© Ă table, avec ouverture tellurique et finale sucrĂ©e.
A qui sâadresse Librairie gourmande et pourquoi avoir Ă©crit prĂ©cisĂ©ment ce livre?
Je suis parti dâune idĂ©e simple. Chaque profession a son propre langage pour faciliter l’apprentissage et ma question a Ă©tĂ© «pourquoi ne pas Ă©tudier Ă la loupe certains termes de cuisine et aller plus en profondeur?» Permettre Ă ceux qui le veulent de mieux comprendre, grĂące Ă de bonnes explications, ce qui se passe au cours d’une recette. Ce livre n’est pas particuliĂšrement dĂ©diĂ© aux professionnels puisque les recettes sont trĂšs simples, mais il s’adresse Ă toute personne curieuse.
Votre conseil aux jeunes dâaujourdâhui?
Ne laissez personne voler vos rĂȘves, mais ne laissez pas vos rĂȘves devenir une obsession.
Un beau compliment?
Il y a une rĂ©flexion qui me plaĂźt particuliĂšrement. Câest celle du cĂ©lĂšbre neurologue Antonio Damasio: «Lâimportant, ce nâest pas la crĂ©ativitĂ© que vous ĂȘtes capable de dĂ©ployer, mais celle que vous induisez chez le convive.»Â