Philippe Massoud
Diner at Illiliâs
Câest sur la Ve avenue exactement, pas Ă cĂŽtĂ©, pas nâimporte oĂč, que le Chef Philippe Massoud a ouvert, en 2007, son restaurant Ilili (dis-moi, en arabe) en pleine âcity that never sleepsâ. Un parcours de cinq ans, couronnĂ© par la nomination de son Ă©tablissement, sur trois annĂ©es consĂ©cutives, Meilleur restaurant mĂ©diterranĂ©en de Manhattan dans le guide Zagat. Rencontre avec le proprio des lieux. Un Chef Ă©nergique, engagĂ© et, surtout, visionnaire, qui rend un bel hommage Ă notre pays au cĆur de la Big Apple.
Le dĂ©cor de lâIlili ayant Ă©tĂ© livrĂ© Ă Nasser Nakib, en hommage au Pays, ce dernier a naturellement et gĂ©nĂ©reusement optĂ© pour le bois de cĂšdre. Des lattes de bois Ă©purĂ©es ornent, dans une juxtaposition cubique, les murs du restaurant. Elles sont souvent interrompues par des ouvertures diaphanes, qui laissent filtrer une bonne lumiĂšre et adoucissent lâeffet de la boiserie omniprĂ©sente. Lâensemble est agrĂ©mentĂ© de chaises en forme de tulipes rougeĂątres, dont les pĂ©tales symbolisent le sang dâAdonis. Ici, tout est pensĂ© avec philosophie, tout est clin dâĆil au patrimoine libanais, revu dans un style archi-contemporain et conçu spĂ©cifiquement pour plaire Ă la gente new-yorkaise, qui constitue la majeure partie de la clientĂšle (95%). La capacitĂ© de lâIlili Ă©tant de 300 personnes entre bar, salle et lounge, de grandes fĂȘtes bien arrosĂ©es y sont orchestrĂ©es.
La restauration, généalogique
Philippe Massoud a le souci dâintroduire ââsaââ ville, New York, Ă ses origines. En 1985, arrivĂ© aux USA chez sa tante alors quâil nâa que 14 ans, il sâimprĂšgne de la vie new-yorkaise, mais transporte toujours en lui sa gĂ©nĂ©alogie des mĂ©tiers de la restauration. ElevĂ© entre hĂŽtels et restaurants, ce mĂ©tier, il lâa presque tĂ©tĂ© au biberon. Et, pour emprunter une expression amĂ©ricaine qui lui sied bien, «it runs in the family.» En effet, en 1940, ses grands-parents ont ouvert le Restaurant Massoud, puis lâHĂŽtel dâAley. En 1964, ils ont construit le Coral Beach, dont ils se sĂ©pareront en 1988, mais oĂč Philippe a habitĂ© pendant la guerre, entre 1974 et 1983. Câest lĂ quâil a appris les secrets du mĂ©tier, auprĂšs du Chef de lâHĂŽtel, Iskandar Obegi. Plus tard, Ă New York, il achĂšvera un diplĂŽme en Hotel, Resort and Restaurant Development au Rochester Institute of Technology, puis retournera peaufiner son savoir en matiĂšre de cuisine libanaise aux Burj el Hamam, Ya Hala Ă Baabdate, Diwan, ainsi quâau Noura de Paris. Il travaillera en Espagne, Ă lâHĂŽtel Don Carlos, oĂč il partira Ă la rencontre des influences hispaniques. La mĂ©thode de Philippe? Respecter le passĂ© tout en le questionnant, en se posant comme question «comment rendre le prĂ©sent meilleur?»
Un bon shawarma de canard
La cuisine servie Ă lâIlili est traditionnelle, avec un lĂ©ger twist contemporain ; au-delĂ de nos traditionnels mezzĂ©s sâajoutent les bons ragoĂ»ts et spĂ©cialitĂ©s des grands jours (arnabieh, mouloukhieh, moghrabieh et kebbe bil laban). Attention, Philippe innove souvent en introduisant, par exemple, un succulent shawarma ainsi quâun ââbasterma de canardââ. Il prĂ©pare aussi, sur place, ses fromages et desserts. Dâailleurs, au Restaurant, vous pouvez dĂ©guster un cheese-cake Ă base de labneh qui fait fi de tous les cream cheese du monde! CĂŽtĂ© boissons, il importe en masse des vins libanais ainsi que notre biĂšre nationale, que la clientĂšle apprĂ©cie dâailleurs Ă©normĂ©ment.
Restauration et mission
En cinq ans, Philippe Massoud peut bien se vanter de son franc succĂšs. La clĂ© nâayant pas Ă©tĂ© dâouvrir simplement un restaurant de lebanese food, sans mission aucune. Sa devise: «Honorer mon hĂ©ritage et dĂ©truire les stĂ©rĂ©otypes.» Philippe Ă©duque et instruit. Il cherche sincĂšrement Ă Ă©lever la conversation en matiĂšre de cuisine libanaise. Et câest dans une Ă©norme bataille quâil se lance. «La cuisine libanaise nâest pas une cuisine de rue», confie-t-il. Notre hĂ©ritage gastronomique ne doit plus ĂȘtre perçu comme un Disneyland, au sens libanais du terme, avec un cĂŽtĂ© kitsch. A lâIlili, le premier Chef, AmĂ©ricain de souche, va bientĂŽt prendre son diplĂŽme en spĂ©cialitĂ©s libanaises. Dâautres suivront, puisque le restaurant se fait acadĂ©mie aussi. «Jâaimerai donner Ă la cuisine libanaise la place que les Japonais ont donnĂ©, depuis 1980, Ă lâexpansion des sushis Ă l’Ă©chelle internationale.» Un sacrĂ© pari, archi-honorable. Une grande mission, accomplie jadis avec brio! VoilĂ pourquoi Philippe travaille 70 heures par semaine. Ce nâest pas pour rien que ses clients quittent les lieux en lançant: «Votre cuisine est meilleure que celle de ma grand-mĂšre», «Si je parle de votre cuisine Ă ma femme, vous allez semer la zizanie entre elle et moi», ou encore «Je nâai mĂȘme plus envie de manger la cuisine libanaise au Liban!»
Une chose est sĂ»re: la saison prĂ©fĂ©rĂ©e du Chef est bien lâĂ©tĂ©, et mĂȘme sâil aime se prĂ©lasser quelque part en Espagne, en se dĂ©lectant dâun bon rouget accompagnĂ© dâun rosĂ©, hĂ©las, ce ne sera que pour un si bref rĂ©pit. Le temps de rosir, voire rougir sous le soleil ibĂ©rique. En grand perfectionniste, Philippe Massoud reprendra vite son tourbillon: «You are as good as the last meal that you have served», nous confie-t-il. Et le vroum vroum des assiettes reprend avec cette mĂȘme Ă©nergie spectaculaire!! Serait-ce une ferveur bien de chez nous? Dis-moi, ââIlili ââ!
De New York, Randa Ghossoub