La France a ses dynasties de grands cuisiniersÂ
Michel Rostang est dâune longue lignĂ©e au service des plaisirs de la table… Chef dâentreprise hors pair, deux Ă©toiles Michelin depuis 1980, il est Ă la tĂȘte de sept Ă©tablissements, dont deux dĂ©diĂ©s aux produits de la mer (Le Dessirier et le Jarrasse, lieu mythique au cĆur de Neuilly) et, depuis 2008, dâune French Brasserie Ă DubaĂŻ. Ses filles, qui reprĂ©sentent la 6e gĂ©nĂ©ration, le rejoignent: Caroline, lâaĂźnĂ©e, pilote la holding familiale, et Sophie sâoccupe de la communication. Ainsi continue le feuilleton dynastique aux dĂ©licates saveursâŠ
Le produit est au cĆur de sa crĂ©ation. Ses plats en apparence simples rĂ©vĂšlent des trĂ©sors de finesse et un goĂ»t unique en bouche, comme le soufflĂ© de quenelle de brochet, les poissons servis Ondes de chevaliers et lâincontournable truffe quâil surnomme Le fabuleux diamante noir⊠Michel Rostang cĂ©lĂšbre la terre et la mer, le cuit et le cru, le croquant et le moelleux, en mariant la grande cuisine bourgeoise de ses racines avec la cuisine crĂ©ative de son Ă©poque. Rencontre avec un magicien des fourneaux, Ă la fois artiste, grand collectionneur et amateur dâart.
 Une saga, aujourdâhui de pĂšre en filles… Jusqu’oĂč va la complicitĂ© avec votre Ă©pouse Marie-Claude, et vos chĂšres Caroline et Sophie?
AprĂšs plus de 40 ans de mĂ©tier, quel bonheur de voir la tradition Rostang se perpĂ©tuer Ă travers mes filles!! Celui qui a pensĂ© ce nom, c’est Jo, mon pĂšre, quand il a vu ses petites-filles. Il a toujours dit: «Rostang PĂšre & filles.» Caroline et Sophie sont la sixiĂšme gĂ©nĂ©ration. Nous travaillons en famille et pilotons nos 6 restaurants parisiens dans un esprit familial qui nous est cher. Marie-Claude, ma femme, est prĂ©sente au restaurant gastronomique, mes filles vont de restaurants en restaurants pour assurer les services en fonction des besoins (gĂ©rer le personnel, la communication, les achats…). Nous gĂ©rons tout, de A Ă Z, tout en formant le personnel Ă l’esprit de notre Maison: respect du produit, des saisons, de la cuisine et des hommes. Sophie et Caroline ont grandi dans l’amour du goĂ»t et des bonnes choses. Elles ont su aussi dynamiser la holding familiale avec des Ă©tablissements comme l’Absinthe, bistrot place du MarchĂ© Saint-HonorĂ©, moderne et fĂ©minin. Elles sont la preuve vivante de cette transmission unique et propre Ă notre famille.
âLe cuisinier est un artisteâ⊠Etes-vous dâaccord? Et considĂ©rez-vous la cuisine comme un art?
Peut ĂȘtre le 8e art, mais je n’aime pas trop utiliser cette expression⊠PlutĂŽt comme la palette d’un artiste, qui cherche Ă trouver l’harmonie entre diffĂ©rents produits afin dâexalter le meilleur goĂ»t. J’aime Ă citer ââaux plaisirs des sens, la cuisine prend tout son sensââ!
On dit que le client mange avant tout avec les yeuxâŠ
Encore une fois, je ne m’arrĂȘterai pas uniquement aux yeux. Je rajouterai l’odorat et, surtout, le goĂ»t. La prĂ©sentation d’un mets est trĂšs importante, tout comme son contenant, mais l’arĂŽme et la saveur sont primordiaux.
Quelles sont votre source dâinspiration et les influences que vous revendiquez le plus?
Ma source d’inspiration va vous paraĂźtre simple, mais je fonctionne uniquement au produit de saison. Le rythme et le respect des saisons est mon mĂ©tronome, et surtout le plaisir de l’attente⊠comme, d’ici quelques jours, l’arrivĂ©e des morilles blondesâŠ
PrĂŽnez-vous la formation traditionnelle ou le ââclassiqueââ revisitĂ©? Et que pensez-vous du cĂŽtĂ© acadĂ©mique de la cuisine?
Je suis plutĂŽt pour une formation classique. Le produit, la saisonnalitĂ© et le goĂ»t sont mes maĂźtres mots. J’aime marier la cuisine crĂ©ative avec la grande cuisine bourgeoise. On trouve Ă la carte du restaurant des produits et des plats rares dans la capitale française: l’Omble chevalier, la cassolette de queues d’Ă©crevisses, le soufflĂ© de quenelle de brochet… Des recettes inspirĂ©es de mon pĂšre, Jo Rostang, toujours d’actualitĂ© et qui demandent un vrai savoir-faire. C’est un Ă©quilibre magique entre les fondements de la cuisine classique et la touche contemporaine de nos plats.
Quelles frontiĂšres marquent le territoire et lâoriginalitĂ© de la cuisine Michel Rostang?
Il nây a pas vraiment de frontiĂšre, car tout produit est source de vraie inspiration. Par exemple, lors de mon retour dâun voyage Ă La Havane, j’ai crĂ©Ă© un dessert Ă base de tabac, qui est toujours Ă la carte de mon restaurant. Ce cigare est devenu un dessert signature de la Maison et unique Ă Paris. L’originalitĂ© est encore dans le produit que lâon sert, et mon originalitĂ© est de ne pas me disperser avec trop de saveurs en bouche. Il faut garder une vĂ©ritable authenticitĂ©.
Combien la saisonnalité des produits est importante?
Jâai toujours composĂ© des plats en rapport avec la saison. Câest un principe auquel je ne dĂ©roge pas. En hiver, nous avons un menu ââtruffeââ spĂ©cifique, oĂč nous travaillons les Saint-Jacques, le foie gras, l’artichaut…. Au printemps, nous allons privilĂ©gier un menu ââasperges et crustacĂ©sââ tout en finesse, avec tourteau, petits pois frais, homard bleu… Nous ne dĂ©naturons pas le produit, voilĂ pourquoi la saisonnalitĂ© est un principe auquel nous tenons. Avoir le meilleur des produits en pleine saison, pour rĂ©vĂ©ler des saveurs intactes en bouche.
Votre plat star? Et vos produits ou herbes de prédilection?
Plat star? Je vais vous parler des plats autour de la truffe, qui est lâun de mes produits plaisir, lĂ encore de saison, que je prĂ©pare de la mi-dĂ©cembre Ă la fin mars, pas aprĂšs: le sandwich tiĂšde Ă la truffe fraĂźche, le mille-feuille de coquilles Saint-Jacques crues et lamelles de truffes en salade, la fameuse purĂ©e aux truffes fraĂźches, la soupe dâartichauts violets aux truffes noires⊠En saison de gibier, vous allez retrouver le liĂšvre Ă la royale, ou encore d’ici quelques jours les premiĂšre morilles… Je n’ai pas d’herbes de prĂ©dilection, peut ĂȘtre un coup de cĆur pour l’estragon avec la volaille de Bresse (Ă l’estragon riz sauvage) comme le faisait Jean FĂ©raud, le pĂšre de ma femme, lui-mĂȘme chef cuisinier Ă Grenoble et une Ă©toile au Guide Michelin.
 Vous avez le coup de cĆur pour la truffe! Quels sont les produits qui se marient le mieux avec ce ââdiamant noirââ?Â
Le secret est dans son parfum, extraordinaire: pour moi, il a quelque chose d’envoĂ»tant… Contrairement Ă la truffe blanche qui perd tout son parfum dĂšs quâelle est un peu chauffĂ©e, la truffe noire, elle, est un vrai produit de la terre, noble, trĂšs technique Ă travailler, mĂȘme si on ne la maĂźtrise pas du tout. On pense aider Ă la faire pousser, mais on nâen est pas sĂ»r⊠On prend, de plus en plus, des plants de noisetiers qu’on fait macĂ©rer dans un jus de truffe pour les micoriser et, ensuite, on les plante dans un terrain Ă lâaciditĂ© et lâexposition soigneusement choisies. Parfois, ça marche, parfois, non. C’est vraiment un produit mystĂ©rieux et c’est ce qui me fascine. Le plus simple est de prĂ©senter pain et truffe Ă la croque au sel. Bien sĂ»r, quand vous commencez Ă travailler les produits comme l’artichaut violet, le poireau, la Saint-Jacques, la pomme de terre, les pĂątes ou le riz Arborio, avec la truffe, lĂ , c’est vraiment magique.
On trouve dans votre restaurant-Ă©crin des Ćuvres de nombreux artistes, classĂ©es par salons: Art DĂ©co, Lalique, Robj, Art Contemporain⊠Parlez-nous de votre Ăąme de collectionneur.
Je collectionne plein de choses, jâai eu des ââĂ©poquesââ diffĂ©rentes⊠Quand on a le privilĂšge de rencontrer des collectionneurs, des artistes, certaines relations sâĂ©tablissent. Lâun des premiers que jâai connus, câĂ©tait Arman, par un ami qui collectionnait lâart contemporain. Les artistes, se sont des Ă©picuriens. On a forcĂ©ment des relations privilĂ©giĂ©es avec eux, on se comprend et moi, je trouve ça formidable.
 2008, lâannĂ©e de la French Brasserie ouverte en plein centre de golf Ă Dubaï⊠Quâest-ce qui vous a motivĂ© Ă sortir de France et franchir cette nouvelle Ă©tape?
C’est le dĂ©veloppement naturel. Dâabord Ă Paris, oĂč nous avons 6 Ă©tablissements, puis Ă lâinternationale, en lâoccurrence DubaĂŻ, oĂč nous avons pu crĂ©er une brasserie avec tout le savoir-faire français dans un cadre comme celui-ci⊠CâĂ©tait une opportunitĂ© magnifique.
Le design culinaire est trĂšs Ă la mode. Quâest-ce quâil Ă©voque pour vous? Et quelle diffĂ©rence avec lâart culinaire?
Pour moi, c’est Ă©vident: il n’y a pas que le plaisir gustatif, il y a aussi le plaisir des yeux. En rangeant quelques archives, j’ai regardĂ© les photos que l’on faisait dans les annĂ©es 70, 80, et je me suis dit: «Mais comment servait-on des assiettes pareilles?!» Elles Ă©taient dressĂ©es de maniĂšre assez grossiĂšre. L’Ă©volution est phĂ©nomĂ©nale: on la subit, certes, mais en mĂȘme temps, on en est acteur. C’est un peu comme si lâon se regarde dans un miroir le matin et lâon ne voit pas de maniĂšre Ă©vidente que l’on vieillit au jour le jour. Mais si lâon prend des photos qui remontent Ă 5 ans, 10 ans, on se dit: «Oh lĂ lĂ !» Pareil pour le dressage dâassiettes. Un ami m’a ramenĂ© un petit livre de recettes que j’avais fait il y a longtemps et, gentiment, mâa demandĂ©: «Tu nâavais pas honte de faire ça avant?» Maintenant, tout est beaucoup plus Ă©purĂ©. Ce nâest pas obligatoirement la mode, mais ça correspond aux envies du moment. On nâa pas envie d’avoir un gros plat.
 Quel chef vous fascine le plus?
Paul Bocuse, le premier chef qui soit sorti de ses cuisines⊠Quel homme remarquable!
Quâaimeriez-vous que lâon retienne de la saga Rostang?Â
Une dynastie de cuisiniersâŠ